jeudi 7 mars 2013

Reprise en douceur…


Ah… Ça fait longtemps que j'attends ce moment. Le moment où je peux enfin sortir de chez moi sans me trouver immédiatement pétrifié par le froid sibérien (je sais, je vis dans les Vosges, mais avec ce fichu réchauffement de planète, les glaciers fondent, la banquise prend le large, les pingouins transpirent et moi j'ai la goutte au nez !).

Et ce soir, POF, ça me prend, comme ça. L'air est doux, il ne pleut pas, c'est l'occasion ou jamais de ressortir les chaussures, la frontale, et… les jambes !

Alors pour ce qui est des chaussure, là, rien à dire, hein ! Pour la frontale, il a fallu un nettoyage en profondeur pour la rendre fonctionnelle, mais ça va. En revanche, pour ce qui concerne les jambes, alors là… c'est une autre histoire. 


Pour ceux qui ont du mal de suivre mon parcours sportif hors-normes, j'ai arrêté de courir il y a 18 mois pour cause de blessures. Quand on arrête le vélo 18 mois, on sait toujours pédaler. Quand on ne nage pas pendant 18 mois, on sait toujours nager. Eh bien quand on ne court plus pendant 18 mois, on est une crotte ! Mais alors… une grosse crotte ! Alors que je courais plus de 2h d'affilée sans (trop de) difficultés, je ne suis plus aujourd'hui capable que de courir 3 minutes (et encore, en soufflant comme une vieille cafetière mal détartrée !). 



"Arnaud, sois fort !" me répète une petite voix dans ma tête ! C'est qu'il en faut, de la motivation, pour dérouiller tout ça. J'alterne marche et foulée lente, mais je sens bien qu'il est loin, le semi-marathon. 



3 km… C'est bon pour aujourd'hui. Mes douleurs lombaires et genouillesques n'ayant toujours pas disparu, je me préserve. Et surtout… je suis mortibus ! Kaput. HS !

Ça vaut ce que ça vaut, mais…
            … c'est ma première sortie !

mardi 26 février 2013

Pitch de ma prochaine histoire
















Il s’appelle Gabriel.

Il vit dans un grenier aménagé en appartement, depuis sa naissance.

Hier, il a fêté son dix-septième anniversaire autour d’un gâteau, en l’unique compagnie de sa mère. À cette occasion, elle lui a offert un livre épais aux pages vierges.
Dans ce livre, Gabriel va écrire son histoire, ses peurs, ses colères.

Quelques semaines plus tard, un incident va se produire. Un incident qui va conduire l’adolescent, pour la première fois de son existence, à l’extérieur. Un incident qui va le confronter au réel, aux étranges habitudes des habitants de Mont-Rouge, à la vérité.

Jour après jour, il va consigner son histoire dans son gros livre noir. Il va y poser toutes ses questions, mais c’est dans les brumes éternelles du village de Mont-Rouge qu’il trouvera les réponses.

mardi 8 janvier 2013

Cinq mille cygnes


















(Cette nouvelle est le fruit d'une participation à un concours de nouvelles. Elle devait compter moins de 5000 signes et commencer par la phrase "5000 cygnes passent dans le ciel")
 
Cinq mille cygnes passent dans le ciel. À chaque fois c'est la même chose.

J'habite au premier étage d’une coquette maison de ville depuis bientôt 5 ans. Et là, au rez-de-chaussée, juste en dessous, il y a une petite boutique. On y trouve des poupées de bois et de tissu, des marionnettes et pléthore de petites bestioles en mousse. C'est une toute petite boutique. En hiver, il y fait sombre et froid.

Jamais je n'ai vu personne y entrer. À part moi. Jamais. La seule femme à franchir le seuil de la porte est celle qui fabrique toutes ces jolies choses. C'est aussi elle qui les vend.


C’est une petite femme, fluette, à la peau claire, aux cheveux roux et lumineux, toujours habillée de vêtements souples aux motifs fleuris et colorés. Quand elle ouvre sa boutique, le matin, la lumière s’engouffre avec elle et envahit la pièce. Alors, les yeux des poupées pétillent, les marionnettes frémissent et les bestioles semblent échanger des regards malicieux. La petite boutique se remplit chaque matin d'une chaleur douce et sucrée qui filtre à travers le plancher, grimpe le long de mes jambes et réveille en moi une nuée de papillons qui frémissent dans ma poitrine.

Peu après mon emménagement, poussé par la curiosité, je suis allé rendre visite à cette femme que je trouvais alors étrange. Pour lui acheter une poupée, ou n’importe quoi d’autre d’ailleurs. Elle était là, tout au fond, assise derrière un large bureau en chêne recouvert d'outils, d'ustensiles divers, de lambeaux de textile et de laine. Elle irradiait. Autour de moi, je percevais comme un souffle, une respiration. Tous ces petits êtres, posés sur les étagères, suspendus à des fils transparents ou disposés sur les tables basses… Ils étaient immobiles, évidemment, mais… ils vivaient, j'en avais l’intime conviction, sans pour autant pouvoir l’expliquer.

Suivi par des centaines de regards pétillants, je me suis dirigé vers le fond de la boutique. Les mains de la jeune femme, diaphanes, jouaient avec les aiguilles, le fil et les petites pièces de bois finement sculptées. Sous mes yeux, en l’espace de quelques minutes, une marionnette avait pris vie.

Encore mal à l’aise, et à voix basse pour ne pas la déranger, je lui ai demandé de me proposer un jouet, pour une petite fille de trois ans, ma nièce. Je n’ai pas de nièce. Mais je n’ai rien trouvé d’autre pour engager la discussion. Si j’avais eu des enfants, ça m’aurait au moins évité de raconter n’importe quoi. Mais non. C’est donc ma nièce imaginaire qui héritera de l’objet. J'étais fasciné par la grâce de ses mouvements, par les volutes que formaient ses gestes simples et élégants. Lentement, elle a levé les yeux et, d'une voix douce, m'a conseillé une jolie petite poupée, dodue, aux longs cheveux de laine orange. Elle l'a déposée dans mes mains. Une intense chaleur s’est alors mise à envahir mon corps. Tout vibrait autour de moi. Tout ! Les poupées exposées se mirent à parler ensemble, à rire. Les marionnettes, une à une, s’approchèrent de moi, se mirent à danser. Quant aux animaux en mousse, ils se réunirent tous au centre de la pièce et défilèrent en cortège, pour envahir la boutique du sol au plafond. Tout malaise en moi avait disparu et laissé place à un fol émerveillement.

La petite femme est ensuite retournée à son ouvrage. Elle n'a pas souhaité d'argent. Abasourdi par l’enchantement dont je venais d’être témoin, j’ai quitté la boutique, regagné mon appartement et déposé la poupée au centre de mon canapé. Le temps s’était arrêté.

Depuis ce jour, je passe régulièrement la voir. À chaque fois, le miracle a lieu. Et peu importe que ma chambre et mon salon soient submergés de poupées, ma vie a changé. Ce qui se passe, entre cette femme et moi, je ne le comprends pas, mais plus jamais les papillons n’ont quitté ma poitrine.

Durant les années qui suivirent, j’ai continué à l’observer, chaque jour, depuis mon appartement.

Et chaque jour, elle arrive à la même heure, sur son vélo jaune. Seule. Toujours seule. Jamais personne ne semble faire attention à elle. Jamais personne ne la salue ni ne rentre dans sa boutique. Elle n'existe pas. Il m’arrive de penser qu’elle n’existe que pour moi.

Et quand elle part, le soir, dans sa boutiques aux lumières éteintes et aux portes closes, à travers les fines lattes de plancher, j'entends parfois les poupées pleurer, soupirer, sangloter. Jusqu'au matin.

À dix heures, elle revient. Et à chaque fois... à chaque fois qu'elle arrive, sur son vieux vélo jaune, cinq mille cygnes l'accompagnent, s'élèvent dans le ciel et disparaissent dans la clarté du soleil.

vendredi 2 novembre 2012

Un déguisement pour Hector


(elle fouille dans un carton rempli de peluches)

- Bonjour… Excusez-moi…

- Oui. Bonjour !

- Je cherche un déguisement pour mon fils. Il a trois ans. Vous auriez ça ?

- Euh… oui, sans doute. Vous cherchez quoi, exactement ? Vous avez une petit idée ?

- Oui. Je cherche… un déguisement, pour mon fils !

- Ah ! Bien. Aucune idée, donc !

- Et bien comme c'est pour Halloween, je pensais à quelque chose qui fait peur, mais pas trop non plus. Il est petit. Trois ans. Il s'appelle Hector.

- Une cape de vampire ?

- Oh non !!! Non, moins effrayant quand même ! Et un peu plus original, peut-être.

- …

- J'avais pensé à un truc, mais bon… Je sais pas, en fait… Un truc genre euh… Genre gruyère… Une sorte de… morceau de gruyère… rectangle… avec des trous…

- Pardon ? Un déguisement de gruyère ?

- Oui, oui, ça doit bien exister, non ? Ça fait peur, mais pas trop ! … Mais… pourquoi vous riez comme ça ? C'est une mauvaise idée, le gruyère ?

- Euh… Je… Je ne sais pas. C'est… Disons que c'est pas banal, comme demande ! Et surtout… ça ne me semble pas bien effrayant !

- Évidemment, j'imagine bien que vous vous n'avez pas peur d'un morceau de gruyère, mais mettez-vous à a place d'un enfant de trois ans !

- Et…

- Et à trois ans, le gruyère, ça fait un peu peur, non ?

- A trois ans, vous aviez peur du gruyère ? … C'est une blague ? … Non, franchement, vous vous fichez de moi ? Je suis en apprentissage, là, je n'ai vraiment pas de temps à perdre, hein ! Alors si vous voulez vraiment gâcher la journée de quelqu'un, je vous conseille la grande rousse, là-bas, aux jeux vidéos. Elle passe le plus clair de son temps à assombrir celui des autres, vous devriez bien vous entendre. Excusez-moi, mais j'ai du travail.

- …

- Quoi ? J'ai pas été assez claire ?

- Claire…

- Quoi "Claire" ?

- Vous vous appelez Claire !

- Hein ? Mais c'est quoi, votre problème, exactement ?

- Je voudrais un déguisement. Pour mon fils. Hector. Il a trois ans.

- …

- Un truc… genre "gruyère".

- … Je rêve… Vous étiez sérieux, en fait ! Mince…

- C'est joli, Claire.

- Je vais voir ce que j'ai et qui pourrait se rapprocher d'un déguisement de gruyère, mais je ne vous promets rien. Et je ne m'appelle pas Claire ! … Bon, là, j'ai une citrouille, mais c'est pour les 7-10 ans, une carotte… mais non, pas de gruyère, désolée.

- …

- Petit, vous aviez peur du gruyère ? C'était pas une plaisanterie ?

- Ben… oui… un peu. Enfin… tous les enfants ont peur du gruyère, non ?

- Non.

- Si, un peu !

- Non.

- Vous, peut-être pas, mais d'autres enfants…

- Non. Désolée. Personne n'a peur du gruyère.

- Mais… son côté luisant, ses trous plus ou moins grands (ouverts comme autant de bouches prêtes à nous engloutir), sa croute râpeuse… c'est quand même plus effrayant qu'un bête morceau de camembert, ou qu'une Vache qui rit !

- Je… non… enfin, je ne crois pas. Mais ça me fait rire…

- Le gruyère ? Ça vous fait rire ?

- Non, pas le gruyère… vous !

- Ah.

- Excusez-moi, mais je dois vraiment travailler, là.

- Samedi, éventuellement.

- Samedi ?

- Oui. Samedi… ça serait sympa.

- Samedi quoi ?

- Je vous invite au Santa Maria. 14h.

- Le Santa Maria… le navire ?

- Non, le piano-bar, là-bas, au coin de la rue.

- …

- C'est un bar… avec un piano, dedans. Derrière le piano, y'a un type qui pose ses doigts sur les touches… et ça forme des mélodies qui…

- Oui oui… ça va, merci, j'ai compris le principe ! Vous m'invitez à boire un verre, c'est ça ?

- Sauf si vous avez des peluches à ranger ce jour là !

- Mais… votre déguisement…

- Oh… un carton, de la peinture jaune, un gros trou pour la tête et deux plus petits pour les bras… ça devrait faire l'affaire, non ?

- Vous êtes tenace, vous !

- Vous acceptez ?

- … Je m'appelle Camille.

  

mardi 28 août 2012

D'une pierre deux coups


Il a coulé comme un plomb.
À peine le temps de tourner la tête et il avait disparu.
Ça a fait "Bam". Puis "Plouf". Puis plus rien.
La pierre en grès rose que portait maladroitement Hector lui a échappé des mains. Elle a sans doute rebondi sur la berge (Bam) avant de s'écraser (Plouf) sur la tête du malheureux canard (un caneton, en fait). La pierre et le caneton ont disparu dans les profondeurs de l'étang, sous les regards horrifiés des enfants jeteurs de pain.

Il faut intervenir. Vite. Situation de crise en milieu vaseux ! Je prends Hector dans les bras, on s'éloigne de la scène de crime et des pleurs. Je le pose sur un banc, lui essuie les mains, et me pose à ses côtés. Il est temps d'avoir une discussion d'homme à homme. Je lui dit que ce qu'il a fait n'est pas bien, qu'aux canards on lance du pain (pas des cailloux). Il est dubitatif.

Je prends, dans ma main gauche, une petite pierre de grès rose (semblable à celle qui vient d'écrabouiller le jeune oiseau dans des conditions épouvantables), et dans l'autre, un inoffensif crouton de pain. J'explique calmement à mon fils (stoïque) que le pain, s'il ne peut être considéré comme quelque chose de liquide, reste toutefois moins solide qu'une pierre. J'argumente. Je développe. Je conclus : la pierre (fondamentalement solide) et l'eau (résolument liquide) sont tout bonnement incompatibles. Ce qui n'est pas le cas entre le pain (mi-liquide, mi-solide) et l'eau. Le bébé canard, quant à lui, peut être considéré comme quelque chose de presque liquide (puisque mou) mais volant (c'est un fait !). La confrontation inopinée de ces trois facteurs (la pierre dure, l'eau liquide et le canard volant) ont généré une sorte de dysfonctionnement qui a conduit le pauvre animal au fond de cette eau trouble, la tête broyée pas la pierre (et, à l'heure qu'il est, les pattes palmées sans doutes encore un peu agitées par les nerfs).

Hector regarde les passants, les mères, les poussettes, les chiens renifleurs. Je crois qu'il ne m'a pas écouté (encore sous le choc, peut-être ?). Je sors de mon sac un biberon de lait deuxième âge. Hector se jette dessus et retrouve le sourire. Non, il ne m'a pas écouté. Je dois revoir à la hausse mes méthodes pédagogiques. L'échec éducatif n'est pas loin. L'angoisse me gagne.

Viens, Hector, il est l'heure de rentrer.

On repasse discrètement à proximité du lieu du drame. Les enfants hurleurs ont disparu. Les canards aussi. Une femme est là, agenouillée, les mains dans l'eau. La pauvre ! Si elle se rince les mains est qu'elle tombe nez à bec avec le cadavre encore tiède ! C'est la catastrophe. Je m'approche. Elle se redresse et finit par me faire face, les mains jointes avec à l'intérieur ce qui reste de la victime. Elle me dit qu'il est vivant, qu'il va s'en sortir, qu'elle ne comprend pas ce qui a pu se passer, qu'il faut être un monstre pour faire ça à un oiseau et que si elle rencontre ce monstre elle lui mettra son pied au… Bref, elle est révoltée. Malgré son fort accent italien (c'est fou ce qu'il y a comme italiens, dans le secteur !), je comprends presque tout ce qu'elle dit.

Pendant qu'Hector finit son biberon, nous nettoyons (avec Florence (elle s'appelle Florence mais je l'apprendrai plus tard)) la petite bestiole. Un régiment d'infanterie lui est passé dessus (pas Florence, hein, l'oiseau !), il est mal en point. Je donne à la jeune femme ma carte de visite. Je lui dit qu'elle fasse de son mieux, qu'elle m'appelle pour me donner des nouvelles du coin coin dès qu'il ira mieux et qu'on s'arrangera pour passer le voir, avec Hector.

On repart. Chacun de notre côté.
Sur le chemin du retour, Hector et moi sommes restés silencieux.

D'où viennent-ils, ces italiens, tout d'un coup ?

lundi 27 août 2012

Comme un oiseau

Like a bird on the wire
Like a drunk in a midnight choir

Sept heures. C'est tôt, sept heures (c'est dur à dire "C'est tôt sept heures) ! C'est surtout tôt pour se faire réveiller par le voisin du dessus. Enfin, pas directement par le voisin, mais par sa musique lugubre. On est mercredi (j'ai pris un jour pour amener Hector (mon fils, 2 ans) au parc d'attraction), et j'aurais aimé dormir encore un peu.
Et Hector… si cette musique le réveille, il va hurler à la mort, c'est sûr ! Il faut que j'intervienne. Et vite !

I have tried in my way to be free


Je reste en pyjama (il faut que je sois cohérent dans le rôle du type qu'on vient de réveiller avec une musique lugubre !), je prends une cigarette que je cale sur mon oreille droite (j'ai arrêté de fumer, mais avec une cigarette sur l'oreille, je me sens fort, c'est comme ça !), je vérifie qu'Hector dort toujours. Oui, il dort toujours. Le veinard. La voix ténébreuse de Léonard Cohen n'a pas réussi à venir à bout de mon fils. Il est fort, mon fils (en même temps, c'est le mien !). Je file à l'étage montrer à l'italien mélomane de quel bois je me chauffe (mon voisin est italien). On ne me marche pas sur les pieds, moi. Surtout un mercredi matin.

If I, if I have been unkind
I hope that you can just let it go by

À peine deux mois qu'il a emménagé et déjà il encombre le paysage sonore. Souvent les mercredis, d'ailleurs. Quand il reçoit sa maitresse (elle ne vient que les mercredis !). Les décibels font vibrer les parquets de mon vieil appartement, et pof… ça m'énerve. Bon, je toque ou je sonne ? Sur sa porte, un adhésif presque illisible : Ben Venuto, ou quelque chose dans le genre. Il va m'entendre, Ben. Je sonne. Quelques secondes plus tard, la porte s'entrouvre. Pavarotti ! C'est Pavarotti ! Pas Pavarotti en personne, non, mais quelque chose de très proche, légèrement moins soigné au niveau de la barbe, et avec une large chemise à fleurs jaunes et roses (que le vrai Pavarotti n'aurait probablement jamais osé porter).

If I, if I have been untrue
I hope you know it was never to you

Il est tout sourire, Ben ! Je fronce les sourcils, signe évident de mauvaise humeur, mais il m'invite à entrer dans son F3 rempli de décibels (on les voit presque à l'œil nu). Il parle un bon français, avec une pointe d'accent calabrais. Il parle beaucoup, d'ailleurs, je n'ai pas encore eu le temps de lui exposer mes revendications. Il est assez sympathique et porte, lui, une sorte de crayon gris sur l'oreille. Il me dit qu'il aime beaucoup Paris, que le climat est froid mais que le cœur des parisiens est chaud, que le vin est délicieux, que sa mère passera le voir la semaine prochaine, que… J'écoute sans écouter. Je suis encore fatigué. Il me demande si je veux un café. Oui. Et une aspirine, si possible.

But I swear by this song

And by all that I have done wrong

I will make it all up to thee

Ben parti en cuisine, je file dans le salon d'où proviennent toutes ces notes. Je dois baisser le volume. Pour Hector. Au milieu du salon, une femme. La petite brune qui vient tous les mercredis. Assise au sol (parquet flottant !) sur un plaid Ikea, accoudée à une table basse. Entièrement nue, à trois mètres d'un chevalet en bois. L'italien n'est pas que mélomane, il est aussi artiste. Cette femme n'est pas sa maitresse, mais son modèle. Mon apparition ne semble pas la troubler (la sienne me bouleverse). Elle est magnifique. Petite, cheveux bruns frisés, peau exceptionnellement blanche, et poitrine parfaitement proportionnée. J'approche. Lentement. Ses grands yeux verts en amande m'hypnotisent. Je la salue, puis lui explique calmement le danger qu'elle court en posant nue sur un parquet qui flotte sur je ne sais quel liquide (je ne l'ai toujours pas identifié).

I saw a beggar leaning on his wooden crutch
He said to me, "You must not ask for so much."

Elle se lève (elle n'est effectivement pas très grande), se rhabille et hurle en direction de la cuisine : "Hey, Mario, chui pas payée pour me faire reluquer les nichons par tous les débiles du quartier.". Elle retire le CD de la chaine, le glisse dans son sac à main, et continue : "Tu me rappelleras quand t'auras mis un verrou à ta porte !". Elle claque la porte (effectivement sans verrou !). Ben (ou Mario, je ne sais plus. C'est compliqué) revient de la cuisine, il rigole gras. Il me dit qu'elle a son caractère, qu'elle reviendra, qu'il la paie bien et qu'il ne l'a jamais touchée ! Je réponds que mon fils est resté seul, que je dois retourner auprès de lui, que je ne boirai pas son café, ni son aspirine. Je m'excuse platement et disparais par la porte sans verrou.


And a pretty woman leaning in her darkened door

She cried to me, "Hey, why not ask for more ?"

Hector dort toujours. Profondément. Il bave un peu, je trouve ça mignon. Par la fenêtre de sa chambre, je vois la (petite) silhouette de la jeune femme aux grands yeux verts disparaitre dans la foule grise du trottoir. On est mercredi, je me sens léger. Comme un oiseau sur un fil.

jeudi 23 août 2012

La baguette du dimanche matin

Elle est molle, cette baguette. Jaune et molle. Je ne sais pas pourquoi je m'obstine à l'acheter au supermarché. C'est comme un réflexe. Je fais deux ou trois courses, je me dis "Tiens, j'ai pu de pain !", et pof, je prends une baguette. Jaune. Et molle.

Je la regarde, sur la table. Elle tranche un peu, entre mon bol de café (brulant) et le programme télé. Mon café aussi est mou, d'une certaine façon. Il est liquide, certes, mais peut-on considérer que le liquide est une sorte de solide mou ? Je ne sais pas. Du bout du doigt, j'appuie et déforme la croute du pain, sans bruit. Il est mou, pourtant, je n'arrive pas à le considérer comme quelque chose de liquide. C'est compliqué. Je suis levé depuis à peine dix minutes et je sens que les engrenages ont du mal de se mettre en place (heureusement, on est dimanche, j'ai le temps !).

Je vais me servir un verre d'eau. Au robinet. L'eau du robinet est sans doute ce qu'il existe de plus liquide, sur Terre. Jamais on n'a entendu un spécialiste dire qu'il avait trouvé quelque chose de plus liquide que l'eau ! Jamais. Le liquide type, de toute évidence, c'est l'eau (l'eau du robinet me semble plus liquide que l'eau en bouteille). Là, posé entre le bol de café (tiède) et la longue baguette molle, l'évidence s'impose : le café est plus de type "liquide" que le pain, même mou.

Je renverse mon bol de café. Le liquide brun (et presque froid, maintenant (c'est malin !)) se répand sur la nappe et dégouline sur le parquet flottant. Le verre d'eau, pareil, sauf que le liquide est transparent (évidemment). La baguette, en revanche, roule sur quelques centimètres avant de s'immobiliser dans un silence mat. Même très très molle, elle ne dégouline pas. On dira ce qu'on voudra, au réveil, mon fin cerveau d'analyste fonctionne à plein régime. La baguette du supermarché est et restera un solide mou, donc non-liquide.

L'esprit clair, je prends quelques carrés d'essuie-tout et éponge la nappe. Pour vérifier un truc (un doute, léger), j'éponge le pain, mais non, rien ne se passe. La conclusion est accablante pour ce bout de farine et de levure mal travaillé.

Un dernier morceau d'essuie-tout pour nettoyer le parquet et le tour sera joué. Le parquet… flottant. Il flotte, donc. Et s'il flotte, c'est forcément sur quelque chose de liquide (de type "eau", ou "café" (pas "pain", surtout !)). C'est compliqué, vraiment.

Je vais me recoucher. Je démonterai ce parquet plus tard.

mardi 21 août 2012

Les caissières du Monoprix

Je fais mes courses une fois par semaine. Souvent le samedi, au Monoprix de la rue Hausmann. Toujours avec mon fils, Hector, 2 ans.

J'aime les caissières du Monoprix. Rien à voir avec les caissières du Prisunic, deux rues plus loin. Rien. Les caissières du Prisu' ont les cheveux huileux, une blouse rembourrée verte aux épaules parsemées de pellicules, de gros doigts noirs et des prénoms de grand-mère (Marthe, Gisèle, Fabienne…). Au Monoprix de la rue Hausmann, les caissières sont jeunes, un gilet vermillon leur donne bonne mine et leur prénom finit presque toujours par "A" (Samantha, Priscilla, Eva, à croire que ce sont des pseudos, un peu comme sur les sites de rencontres (sur lesquels je ne vais jamais !)).

J'aime les caissières du Monoprix. Mon fils (Hector, 2 ans) s'est révélé être une arme de séduction massive, au passage en caisse. Jamais je ne fais les courses sans Hector ! Jamais ! Si, en fait, parfois. Quand le Monoprix est fermé (pour inventaire, mais c'est rare) et que je n'ai d'autre choix que d'aller au Prisu', deux rues plus loin donc. Là, non, je ne prends pas Hector. Jamais !

Aujourd'hui, notre proie s'appelle Rita (pseudo ?), caisse 6. Menue, blond clair naturel et poitrine opulente ouverte sur l'extérieur ! Ni Hector ni moi n'avons souvenir d'avoir déjà vu ça en caisse 6. Ça va chercher dans les 90D… voire E ! Hein Hector !

Je mets mon fils en position d'attaque (debout à l'avant du Caddie). Il babille, rigole, tente d'attraper un paquet de chewing-gum, bave un peu. Rita (c'est écrit sur son badge) lève les yeux, nous sourit… Ça y est, l'écrasante mécanique de séduction est en marche, huilée comme un corps de lutteur grec, détruisant tout sur son passage (Hector, nous voici dans les rails qui mènent inexorablement vers l'épanouissement sexuel).
Rita me parle. Je n'ai rien compris. Mes yeux sont absorbés par le blanc éclatant de sa poitrine, marbré de quelques veines à peine perceptibles. C'est extraordinaire. Hector bave un peu.

" Monsieur, je ferme, vous pouvez passer en caisse 8 ? "
Je jette un œil derrière moi, furtif. Personne. C'est à moi que la laitière du numéro 6 s'adresse. Je souris (mais en fait, non). Je pousse mon Caddie en caisse 8. Je suis les instructions. La peur, évidemment. C'est la peur qui l'a poussée à m'orienter en caisse 8. Le sentiment de ne pouvoir lutter, contre moi, contre Hector, contre ce "nous" ravageur de cœurs et de 90D (ou E).

Je dispose mes quelques courses sur le tapis roulant (qui pour l'instant ne roule pas, sinon, comment ferais-je pour ne pas me mélanger les crayons !). Un tube de dentifrice, des tomates grappes, des petits pots (pour Hector), une boite de préservatifs Sensitive Ultra (pour moi !) et une baguette un peu molle.

Victorine écrase son lourd derrière en caisse 8. Victorine. Ils sont allés la chercher au Prisu', celle-là ? Elle ne respire pas, elle halète. Je fais descendre mon fils (Hector, deux ans) du Caddie, j'abandonne discrètement la boite de préservatifs sous la caisse, m'empresse de ranger mes affaires et file aussi vite que possible. Au passage, je jette un dernier coup d'œil à Rita, qui prends soin de m'ignorer totalement. Comme si je n'existais pas. C'est une joueuse, Rita. J'aime ça !

À la semaine prochaine, 90E (ou F ? Ça existe, F ?)
Avance, Hector !

lundi 20 août 2012

Le premier café


C'est important, le premier café, avec une femme. Un peu comme le premier baiser (mais sans la langue et avec un sucre). Ça en dit long sur celle qu'on ne connait pas encore très bien. J'ai un ami, on l'appelle Dédé (André ?), qui est sorti avec une Blandine. Elle a pris un thé à la bergamote, avec un nuage de lait, sans sucre. Le nec plus ultra de la distinction, de l'élégance et du raffinement. On a décidé ça, avec Dédé. Là, on sait qu'on vient de taper dans le haut du panier (on sait aussi qu'on y mettra la main, mais un peu plus tard).

Je connais Cindy depuis deux semaines. On s'est rencontrés sur un site de rencontres. Les 78 752 femmes inscrites y cherchaient le même homme : grand, musclé mais pas trop, tendre, sentimental mais pas trop, intelligent (mais pas trop), avec une pointe d'humour, et surtout, gentil (trop, trop, trop) ! Le bon sens (et le manque de temps)m'interdisant de répondre à ces 78 752 femmes, j'ai choisi Cindy, comme ça, mais pas pour son prénom. Je ne correspond pas vraiment à l'homme de sa vie, mais je me sais capable de faire illusion (au moins pendant les premières semaines).

A 10h, ce matin, attablés à la terrasse d'un café, l'heure de vérité approche. Et ce matin, l'heure de vérité s'appelle Alain, serveur filiforme aux cheveux plaqués. Je lui fais un sourire (je suis un mec sympa), et lui commande un expresso, serré et sans sucre. Je croise les yeux de Cindy, qui a sans doute compris à qui elle avait affaire. Un mec, un vrai, musclé à l'extérieur comme à l'intérieur, avec du poil (mais pas trop).

Suspendu à ses lèvres, j'attends la sentence… Café, thé, ou, oserais-je l'espérer, thé à la bergamote avec un nuage de lait (sans sucre) ? On dirait qu'elle hésite. C'est mauvais, ça. Une femme n'hésite pas, une femme sait. Elle entrouvre les lèvres. Un Martini… Un Martini ? Mais c'est quoi, ça, un Martini ? Il est 10h du matin et une grande blonde au prénom impossible, assise en face de moi, prend un Martini ! Quand je raconterai ça à Dédé… Et mince, ça signifie quoi, ça, un Martini. Elle joue pas le jeu, la grande (elle est très grande) sentimentale du web. Je regarde, désemparé, le serveur s'éloigner.

Non, je n'ai pas trop envie de connaître une fille qui commande un Martini à l'heure du sacro-saint café ! Je m'éclipse en direction des toilettes en espérant y trouver une lucarne salvatrice assez large pour y passer mon corps musclé (car je suis musclé, mais pas trop !).

C'est important, le premier café, avec une femme.

vendredi 17 août 2012

Pensée #2

Le moulin Sang-Terre sue
Encore
Sonné par l'orage.
Sur le sentier qui descend à Aubagne
Les galets, roulés par la pluie
Pleurent encore la nuit passée.
Sur la tourbe rouge
À l'ombre des oliviers
Une mère apaise ses levrauts.