jeudi 9 juin 2011

Le marché aux enfants

Au passage, voici une courte nouvelle écrite il y a 15 ans. Aujourd'hui, j'y vois pas mal de maladresses, mais j'ai fait le choix de la publier "en l'état". En espérant que certains d'entre vous auront le courage de la lire jusqu'au bout…

Au début, il n'y avait rien. Rien pour les enfants.
Eux-même s'en plaignaient, parfois.
Mais en 1996, les enfants, on ne les écoutait pas.
Le marché couvert battait au rythme des jours ouverts, et de plus en plus, celui des grands-parents de Paul et Virginie aussi.
Ainsi, les mercredis et samedis matin, rater le marché eut été moins punissable que de rater les offices religieux, mais infiniment plus regrettable.

Mercredi 15 mai
Les deux enfants pénétraient une fois encore dans l'antre qu'ils trouvaient grouillant, sombre et puant, les mains liées à celles de Grand-papa et Grand-maman.
Grilles d'évacuation de l'eau, plaques d'égout rouillées, fissures, paniers, cageots vides et aérations obturées. Les yeux de Paul n'accédaient pas à l'étage supérieur du marché, ceux de sa sœur non plus.
Pourtant, ce matin là, entre la fontaine de pierre et le comptoir de la crémière, était né un nouvel étal, original.
Tenu par un gamin fragile comme du verre et presque aussi transparent, le présentoir en bois ne présentait rien.
Paul et Virginie s'approchèrent, le visage clair.
L'enfant leur sourit.
Vinrent alors les deux crémières.
De leurs seins ruissela un lait clair, que les enfants tétèrent. Le lait de leur mère.

Samedi 18 mai
L'étal était vide et les enfants absents.

Mercredi 22 mai
Le mercredi suivant, réapparut le gamin ou peut-être était-ce un autre. Il avait le même visage, le même âge, mais il semblait moins sage.
Cette fois, il s'est installé sous la lourde table d'équarrissage de la Boucherie Morel.
Sans un mot, Paul et Virginie vinrent à lui, et à leur tour, lui offrirent un sourire. Les yeux soudés à ceux du gamin, ils se dévêtirent, lentement, sensuellement, silencieusement, puis se couchèrent dans une auge en bois noirâtre remplie de sang. Le sang de leur père.
Une blondinette bouclée, par un sourire illuminée, des souliers vernis aux pieds, les imita.
Puis deux garçons, assez mignons, en firent autant.
D'autres encore…
Jusqu'à ce que la bassine en fut remplie, et que le sang se répandit et imprégnât les profondeurs du sol.

Samedi 25 mai
Paul et virginie étaient en classe mais leur tête était restée au marché.

Mercredi 29 mai
Dès l'aube, le soleil cuisant avait pris place au plus haut des cieux et semblait ne pas vouloir en bouger. L'odeur guimauve des beaux jours avait incité les grands parents du coin à se rendre au marché un peu plus tôt qu'à l'ordinaire.
Virginie s'était levée la première, suivie de près par son frère. Le chocolat chaud était plus savoureux que les autres jours. Ils l'engloutirent avec amour. La brioche, dans le four, attendait son tour.
Devant, Paul tirait Mère-grand, et sa sœur, Père-grand.
Ce matin, le marché était chaud.
La transpiration ruisselait sur le visage des commerçants, chemises ouvertes, manches retroussées, corsages délacés.
Entre deux étals de fruits, un oranger avait poussé. Les enfants s'en approchèrent, curieux, impatients.
Alors, une fine neige de pétales ensoleillés se mit à tournoyer autour du sommet de l'arbre, jusqu'à le dorer entièrement.
D'une branche tomba le Fruitier. Les joues généreuses, la barbe sucrée qui se prenait dans les plis de son manteau parfumé, il s'approcha de la horde juvénile et sortit d'une hotte en rotin, un par un, les mots que les enfants n'avaient jamais osé prononcer, des mots parfumés, des mots amoureux…

Le samedi qui suivit fut gris.

Mercredi 5 juin
Ce matin, comme Grand-père et Grand-mère refusaient de se rendre au marché – les événements passés les avaient fatigués – les enfants s'étaient évadés par une fenêtre mal fermée.
Les autres bambins du coin les avaient rapidement rejoints.
Grouillante, la colonie rampait instinctivement, suivant les odeurs de croissant beurrés, de brioches tièdes, de tartelettes sucrées et de chocolats fondants.
Les étals étaient abandonnés.
Une boulangerie à la taille des enfants était née entre deux boutiques désertées de viande et de légumes frais.
Le gamin muet était là. Il enfourna plusieurs bambins dans le grand four en briques rouges qui était derrière lui. Chaque enfant en ressortit sous la forme du nounours égaré, du doudou déchiré, du joujou confisqué des premiers matins, des premières années. Le cheval en bois hennit, la poupée de verre frémit, le clown en soie sourit, et tous s'élevèrent emportés par la chaleur du grand four.

Le samedi 8 juin, rien.

Mercredi 12 juin
Le marché flottait sur une mer déchaînée.
Chaque étal tanguait sur l'eau agitée.
Dans les abîmes, les aliments avaient sombré.
Le marchand d'œufs était resté derrière son comptoir de bois et de paille, assistant au déluge, sans y prendre part. Son étal, banal, était ce jour-là sans rival.
Étonné par tant de coups de tonnerre tonnés, l'homme s'apprêtait à tout ranger, quand sous ses yeux émerveillés, quelque chose changea, il l'aurait juré.
Les œufs avaient bougé.
Ils étaient retournés.
Le nez collé aux coquilles, le marchand rêvait éveillé.
Dans chaque œuf étaient recroquevillés deux enfants. Paul suçait son pouce et Virginie souriait.

Samedi 15 juin
Le marché couvert était abandonné, déserté, noyé.

Mercredi 19 juin
Le mercredi suivant, la mer s'en était allée, laissant place à une immense plage de sable fin, sur laquelle les enfants jouaient. Le ciel leur offrait un de ses plus beaux bleus.
Quelques coquillages, des algues qui bougeaient, une étoile de mer et un gros crabe rouge recouvraient le tapis blond.
Habillés en tenue de matelots, Virginie, son frère et les enfants du quartier, bâtissaient un palais enchanté. Une des tours s'élevait jusqu'au ciel, c'était la tour de la vie.
Au plus haut étage, quelques fées se penchaient, attendries sur le berceau qui protégeait la princesse, la première princesse, la princesse du nouveau monde.

Samedi 22 juin, l'été enfantin

Dimanche 23 juin
Le dimanche se produisit ce qui ne s'était encore jamais produit.
Les portes du marché virent entrer des centaines de bambins, jouets à la main, gilet sur le dos et balluchon chantant, riant et courant vers la cité céleste.
Tous avaient envahi le palais, quand celui-ci et le reste du marché furent emportés par un courant chaud jusque dans le grand fleuve, plus loin, plus haut, au delà des idéaux, vers un rivage nouveau.
Un monde merveilleux s'établit, la Cité des Enfants, sans adultes et sans grands, sans odeurs usées, sans couleurs foncées, mais avec un marché.
Le Marché des enfants.
Interdit aux parents.

10 commentaires:

  1. Je connais une dame qui illustre des livres pour enfants... mais est-ce une histoire pour les enfants ?

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  2. Euh... pour grands enfants, peut-être. Mon fils de 12 ans a beaucoup aimé. Ma fille de 9 ans est restée perplexe. Mon gamin de 2 ans a fait caca dans la couche...

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  3. faut changer les prénoms.... Bernardin de Saint-Pierre
    lol !

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  4. Pfff... J'l'attendais, celle-là ! ^^

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  5. Samedi 23 juin, dimanche 23 juin.... c'est l'Histoire sans fin...

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  6. Monsieur l'écrivain, je vais faire lire ta nouvelle à la dame qui dessine (et écrit) des livres pour enfants...
    bisous !

    (p.s.: heureusement que je suis là pour mettre des coms, qui font plaisir!!!!)

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  7. Merci Agnès, pour ta correction du 23 juin ! Faute de frappe en recopiant !!!!!!

    Et merci Agnès pour tes passages sur mon blog et tes nombreux commentaires !!! (c'est pas comme la parigote, là, qui fait mine de lire mes textes mais qui n'en survole que les titres !! pffff)

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  8. Bonjour l'écrivain ! C'est vrai que c'est plutôt un conte pour les grands enfants, les ados.
    Bravo et continuez !

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  9. T'as vu ! non seulement, je passe, je commente, je corrige, mais je t'envoie aussi des lecteurs...
    et pas n'importe qui !
    bisous

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