lundi 27 août 2012

Comme un oiseau

Like a bird on the wire
Like a drunk in a midnight choir

Sept heures. C'est tôt, sept heures (c'est dur à dire "C'est tôt sept heures) ! C'est surtout tôt pour se faire réveiller par le voisin du dessus. Enfin, pas directement par le voisin, mais par sa musique lugubre. On est mercredi (j'ai pris un jour pour amener Hector (mon fils, 2 ans) au parc d'attraction), et j'aurais aimé dormir encore un peu.
Et Hector… si cette musique le réveille, il va hurler à la mort, c'est sûr ! Il faut que j'intervienne. Et vite !

I have tried in my way to be free


Je reste en pyjama (il faut que je sois cohérent dans le rôle du type qu'on vient de réveiller avec une musique lugubre !), je prends une cigarette que je cale sur mon oreille droite (j'ai arrêté de fumer, mais avec une cigarette sur l'oreille, je me sens fort, c'est comme ça !), je vérifie qu'Hector dort toujours. Oui, il dort toujours. Le veinard. La voix ténébreuse de Léonard Cohen n'a pas réussi à venir à bout de mon fils. Il est fort, mon fils (en même temps, c'est le mien !). Je file à l'étage montrer à l'italien mélomane de quel bois je me chauffe (mon voisin est italien). On ne me marche pas sur les pieds, moi. Surtout un mercredi matin.

If I, if I have been unkind
I hope that you can just let it go by

À peine deux mois qu'il a emménagé et déjà il encombre le paysage sonore. Souvent les mercredis, d'ailleurs. Quand il reçoit sa maitresse (elle ne vient que les mercredis !). Les décibels font vibrer les parquets de mon vieil appartement, et pof… ça m'énerve. Bon, je toque ou je sonne ? Sur sa porte, un adhésif presque illisible : Ben Venuto, ou quelque chose dans le genre. Il va m'entendre, Ben. Je sonne. Quelques secondes plus tard, la porte s'entrouvre. Pavarotti ! C'est Pavarotti ! Pas Pavarotti en personne, non, mais quelque chose de très proche, légèrement moins soigné au niveau de la barbe, et avec une large chemise à fleurs jaunes et roses (que le vrai Pavarotti n'aurait probablement jamais osé porter).

If I, if I have been untrue
I hope you know it was never to you

Il est tout sourire, Ben ! Je fronce les sourcils, signe évident de mauvaise humeur, mais il m'invite à entrer dans son F3 rempli de décibels (on les voit presque à l'œil nu). Il parle un bon français, avec une pointe d'accent calabrais. Il parle beaucoup, d'ailleurs, je n'ai pas encore eu le temps de lui exposer mes revendications. Il est assez sympathique et porte, lui, une sorte de crayon gris sur l'oreille. Il me dit qu'il aime beaucoup Paris, que le climat est froid mais que le cœur des parisiens est chaud, que le vin est délicieux, que sa mère passera le voir la semaine prochaine, que… J'écoute sans écouter. Je suis encore fatigué. Il me demande si je veux un café. Oui. Et une aspirine, si possible.

But I swear by this song

And by all that I have done wrong

I will make it all up to thee

Ben parti en cuisine, je file dans le salon d'où proviennent toutes ces notes. Je dois baisser le volume. Pour Hector. Au milieu du salon, une femme. La petite brune qui vient tous les mercredis. Assise au sol (parquet flottant !) sur un plaid Ikea, accoudée à une table basse. Entièrement nue, à trois mètres d'un chevalet en bois. L'italien n'est pas que mélomane, il est aussi artiste. Cette femme n'est pas sa maitresse, mais son modèle. Mon apparition ne semble pas la troubler (la sienne me bouleverse). Elle est magnifique. Petite, cheveux bruns frisés, peau exceptionnellement blanche, et poitrine parfaitement proportionnée. J'approche. Lentement. Ses grands yeux verts en amande m'hypnotisent. Je la salue, puis lui explique calmement le danger qu'elle court en posant nue sur un parquet qui flotte sur je ne sais quel liquide (je ne l'ai toujours pas identifié).

I saw a beggar leaning on his wooden crutch
He said to me, "You must not ask for so much."

Elle se lève (elle n'est effectivement pas très grande), se rhabille et hurle en direction de la cuisine : "Hey, Mario, chui pas payée pour me faire reluquer les nichons par tous les débiles du quartier.". Elle retire le CD de la chaine, le glisse dans son sac à main, et continue : "Tu me rappelleras quand t'auras mis un verrou à ta porte !". Elle claque la porte (effectivement sans verrou !). Ben (ou Mario, je ne sais plus. C'est compliqué) revient de la cuisine, il rigole gras. Il me dit qu'elle a son caractère, qu'elle reviendra, qu'il la paie bien et qu'il ne l'a jamais touchée ! Je réponds que mon fils est resté seul, que je dois retourner auprès de lui, que je ne boirai pas son café, ni son aspirine. Je m'excuse platement et disparais par la porte sans verrou.


And a pretty woman leaning in her darkened door

She cried to me, "Hey, why not ask for more ?"

Hector dort toujours. Profondément. Il bave un peu, je trouve ça mignon. Par la fenêtre de sa chambre, je vois la (petite) silhouette de la jeune femme aux grands yeux verts disparaitre dans la foule grise du trottoir. On est mercredi, je me sens léger. Comme un oiseau sur un fil.

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