mardi 28 août 2012

D'une pierre deux coups


Il a coulé comme un plomb.
À peine le temps de tourner la tête et il avait disparu.
Ça a fait "Bam". Puis "Plouf". Puis plus rien.
La pierre en grès rose que portait maladroitement Hector lui a échappé des mains. Elle a sans doute rebondi sur la berge (Bam) avant de s'écraser (Plouf) sur la tête du malheureux canard (un caneton, en fait). La pierre et le caneton ont disparu dans les profondeurs de l'étang, sous les regards horrifiés des enfants jeteurs de pain.

Il faut intervenir. Vite. Situation de crise en milieu vaseux ! Je prends Hector dans les bras, on s'éloigne de la scène de crime et des pleurs. Je le pose sur un banc, lui essuie les mains, et me pose à ses côtés. Il est temps d'avoir une discussion d'homme à homme. Je lui dit que ce qu'il a fait n'est pas bien, qu'aux canards on lance du pain (pas des cailloux). Il est dubitatif.

Je prends, dans ma main gauche, une petite pierre de grès rose (semblable à celle qui vient d'écrabouiller le jeune oiseau dans des conditions épouvantables), et dans l'autre, un inoffensif crouton de pain. J'explique calmement à mon fils (stoïque) que le pain, s'il ne peut être considéré comme quelque chose de liquide, reste toutefois moins solide qu'une pierre. J'argumente. Je développe. Je conclus : la pierre (fondamentalement solide) et l'eau (résolument liquide) sont tout bonnement incompatibles. Ce qui n'est pas le cas entre le pain (mi-liquide, mi-solide) et l'eau. Le bébé canard, quant à lui, peut être considéré comme quelque chose de presque liquide (puisque mou) mais volant (c'est un fait !). La confrontation inopinée de ces trois facteurs (la pierre dure, l'eau liquide et le canard volant) ont généré une sorte de dysfonctionnement qui a conduit le pauvre animal au fond de cette eau trouble, la tête broyée pas la pierre (et, à l'heure qu'il est, les pattes palmées sans doutes encore un peu agitées par les nerfs).

Hector regarde les passants, les mères, les poussettes, les chiens renifleurs. Je crois qu'il ne m'a pas écouté (encore sous le choc, peut-être ?). Je sors de mon sac un biberon de lait deuxième âge. Hector se jette dessus et retrouve le sourire. Non, il ne m'a pas écouté. Je dois revoir à la hausse mes méthodes pédagogiques. L'échec éducatif n'est pas loin. L'angoisse me gagne.

Viens, Hector, il est l'heure de rentrer.

On repasse discrètement à proximité du lieu du drame. Les enfants hurleurs ont disparu. Les canards aussi. Une femme est là, agenouillée, les mains dans l'eau. La pauvre ! Si elle se rince les mains est qu'elle tombe nez à bec avec le cadavre encore tiède ! C'est la catastrophe. Je m'approche. Elle se redresse et finit par me faire face, les mains jointes avec à l'intérieur ce qui reste de la victime. Elle me dit qu'il est vivant, qu'il va s'en sortir, qu'elle ne comprend pas ce qui a pu se passer, qu'il faut être un monstre pour faire ça à un oiseau et que si elle rencontre ce monstre elle lui mettra son pied au… Bref, elle est révoltée. Malgré son fort accent italien (c'est fou ce qu'il y a comme italiens, dans le secteur !), je comprends presque tout ce qu'elle dit.

Pendant qu'Hector finit son biberon, nous nettoyons (avec Florence (elle s'appelle Florence mais je l'apprendrai plus tard)) la petite bestiole. Un régiment d'infanterie lui est passé dessus (pas Florence, hein, l'oiseau !), il est mal en point. Je donne à la jeune femme ma carte de visite. Je lui dit qu'elle fasse de son mieux, qu'elle m'appelle pour me donner des nouvelles du coin coin dès qu'il ira mieux et qu'on s'arrangera pour passer le voir, avec Hector.

On repart. Chacun de notre côté.
Sur le chemin du retour, Hector et moi sommes restés silencieux.

D'où viennent-ils, ces italiens, tout d'un coup ?

1 commentaire:

  1. encore un opus délirant !

    j'aime bien la chute.

    et... sinon... Florence, tu l'a revue ?

    ;)

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